biografía        obra




L'expressionnisme



L’expressionnisme ne cherche pas à montrer le monde tel qu’il est, mais à l’exprimer. Il s’inscrit dans les pas de Van Gogh qui avait déjà ouvert en son temps les portes d’une forme de peinture marquée par l'expression. Cet aspect est principalement exploité à travers le thème du corps ou du portrait, dans lesquels les artistes n’hésitent pas à aller jusqu’à la distorsion des traits.


L'EXPRESSIONNISME ALLEMAND ET DIE BRÜCKE

Au début du siècle, l’Allemagne traverse une période de crise profonde dans un climat social tendu avec l'approche de la première guerre mondiale, même si le peuple s'affiche dans une insouscience factice. Les expressionnistes sentant venir la guerre expriment leurs sentiments visionnaires dans des images particulièrement torturées. C'est dans ce contexte que se forme le groupe Die Brücke à Dresde en 1905 autours des personnalitées de Fritz Bleyl, Karl Schmidt-Rottluf, Erich Heckel et Ernst Ludwig Kirchner. Viendrons plus tard s'y ajouter des artistes tels que Emil Nolde, George Grosz, Otto Mueller, Max Pechstein et Otto Dix. D’ailleurs, quand on observe les portraits photographiques de ce dernier, on voit que l’expression qui émane de son visage est loin d’être épanouie, primesautière et pleine de joie de vivre. Son expression grave, sévère et austère semble exprimer à elle seule l’atmosphère qui pouvait régner dans le pays à l’époque.

Dans ce monde hostile, présageant moult inquiétudes, les expressionnistes allemands cherchent une peinture capable d’exprimer les problèmes humains. Leur peinture est comme un cri de désespoir lancé en réaction à cette société qui n’offre qu’angoisse et peur de l’avenir. La forme expressionniste est brute, nerveuse et la déformation est utilisée à volonté pour faire rejaillir le sentiment intérieur sur la réalité figurative.
L'influence du style vient de précurseurs du siècle précédent comme James Ensor, Vincent van Gogh ou encore Edward Munch.


L'EXPRESSIONNISME VIENNOIS

A Vienne en Autriche, l'expressionnisme apparaît à travers le groupe de la Sécession créé par Gustav Klimt (bien que celui-ci reste principalement attaché au style Art nouveau), bientôt rejoint par Egon Schiele : dans son autoportrait debout, il n’hésite pas à se montrer à nu, dans toute sa vulnérabilité, sa fragilité d’être humain. Il ne cherche pas à embellir son corps ou son visage. La flatterie n’est pas son propos. Il ne cherche pas à se montrer, mais à exprimer ce qu’il ressent profondément. Il adopte une posture caractéristique de l’expressionnisme allemand, c’est-à-dire une pose anti-naturelle au possible. Son corps est contraint dans un mouvement de torsion, où ses bras sont tordus dans une posture tourmentée à l’arrière de son corps. Les mains sont exagérément agrandies, de manière à renforcer l’aspect expressif. Le regard quant à lui semble très énigmatique. On ne parvient pas à savoir si ce que l‘on voit sont les paupières de ses yeux fermés où si le regard est volontairement absent, comme s’il n’avait pas fait les yeux pour éviter de voir les horreurs du monde. Toujours est-il que cette absence de regard déstabilise et renforce curieusement l’aspect expressif et dérangeant de l’image. Il y a une certaine violence à se mettre à nu, jusqu’à montrer son sexe, et à ne pas dévoiler son regard.

Dans son tableau Deux femmes, il peint deux corps enlacés dans une posture complexe où les corps se mélangent tant qu’ils semblent disloqués. On ne parvient plus à savoir à qui appartiennent les membres. Il y a à la fois une certaine fusion des corps, et en même temps une violence latente dans l’attitude. Il faut se rappeler qu’en cette période, dans certaines familles puritaines, le corps était encore si tabou qu’il était interdit de regarder ou de toucher son propre corps. Les attraits sexuels étaient apparentés au diabolique et au péché, si bien que même lors du bain, certaines familles utilisaient des draps spéciaux, recouvrant tout le corps pour le cacher au regard. Il va sans dire que dans un tel contexte, cette représentation du corps de la femme est plus qu’outrager. C’est sans doute le conflit intérieur entre le désir de montrer le corps et de se l’approprier, et les angoisses profondes que le fait de briser les tabous engendre, qui procure cette agressivité, cette violence et ce tourment palpables dans les représentations du corps.


LE COPRS COMME SUPPORT D'EXPRESSION TRAGIQUE

Quoi de mieux pour exprimer ces angoisses, les terreurs et la violence de ce monde, que le portrait ou le corps nu, sans carapace ni sans défense. Les portraits et corps présentent un aspect très expressif, parfois à la limite de la déformation ou de la monstruosité. Les images dégagent souvent une impression morbide, torturée, exaltant une certaine image de décadence et de déchéance.

C’est le cas du portrait de la journaliste Sylvia Von Harden d’Otto Dix. Le visage pâle de la journaliste peint sur un fond rouge éclatant n’en semble que plus blafard. Les traits du visage sont exagérés, les mains disproportionnées par rapport au corps et leur déformation accentue l’aspect expressif du personnage. Ici, la femme est présentée comme un personnage en pleine décadence : le peintre lui approprie les attraits de la déchéance, cigarette et alcool, surtout pour une femme, ce qui avait sans doute de quoi faire bondir la bourgeoisie bienséante de l’époque. La posture même du personnage accentue cet aspect décadent. Les jambes croisées (posture de séduction nonchalante très incorrecte pour une jeune fille de bonne famille), exhibent un bas qui retombe légèrement plissé avec négligence. Ce détail évoque à la fois un certain laissé aller de la féminité que l’on voudrait voir lisse et pure, et d’une certaine manière aussi, comme un rappel de la dégradation du corps par le temps qui passe. En effet, les plis du bas évoquent une peau vieillie, ridée, les flétrissements inévitables des chairs par le temps qui passe.

Cette image est reprise dans de nombreux tableaux d’Otto Dix, où il montre des femmes âgées aux chairs vieillies. Elles se regardent dans des miroirs, souriantes, avec tous les atours des fraîches jeunes filles. Le contraste n’en est que plus saisissant et montre avec encore plus de cruauté le côté inéluctable de la décadence du corps et des beautés perdues. Cette vision est non sans rappeler le portrait de Dorian Gray, à travers le regard de ces vieilles femmes terrifiantes qui croient encore se voir sous les traits de la beauté de leur prime jeunesse.

Certains artistes du body-art vont développer ce rapport violent et tourmenté au corps, mais de manière toute autre car celui-ci ne passe pas par le biais de la toile. Le corps devient le support direct de l’œuvre. Les artistes de ce mouvement dépassent l’aspect expressif du corps pour explorer les possibles et les limites qu’il offre.

— Historie de l'art



Egon Schiele: El médico filósofo que se convirtió
en sacerdote del cuerpo



En La Gaya Ciencia, Nietzsche distinguía entre el filósofo de la carencia y el de la abundancia: “en algunos, lo que filosofa son sus defectos, en otros, sus riquezas y fuerzas. Aquéllos necesitan una filosofía, como sostén, calmante, medicina, redención, edificación, enajenación de sí mismos; para éstos la filosofía es tan sólo un hermoso lujo, en el mejor de los casos la voluptuosidad de una gratitud triunfante que finalmente debe inscribirse con mayúsculas cósmicas en el firmamento de los conceptos”. Egon Schiele entraría en la segunda categoría, como bien supo reconocer su amigo Arthur Roessler, quien afirmó que el artista, a veces incluso incapaz de comprender su propio trabajo, no siempre pudo hacer frente a su exuberante creatividad.

Apostando por el arte de lo feo, Schiele abatió contra el concepto de belleza que reinaba entre los miembros de la Secesión. Su arte de crítica y denuncia prescindía de intento alguno de embellecimiento. La representación de la masturbación de los dibujos de Gustav Klimt, a pesar de la niñez de algunas de sus modelos, resulta hermosa. Sin embargo, la rigidez de las posturas a las que Schiele sometía a sus figuras les negaba a sus protagonistas la apacible ingravidez del cuerpo abandonado a sí mismo, característico de su antecesor. En buena medida, además, son carne de aspecto putrefacto donde todo es tensión. Nuestro artista contribuyó, de esta forma, como lo hiciera antes Félicien Rops, a la desestización de lo estético, extendiendo el arte al terreno de lo aberrante. El joven vienés no pudo sino llevar esto a sus últimas consecuencias en los múltiples autorretratos donde se mutiló, se jorobó y forzó su espina dorsal hasta resquebrajarla, con colores a veces sucios, otras estridentes, en todo caso enfermos, en el sexo, el culo y las mejillas, con los miembros dislocados: ahora el codo, también la rodilla, antes el hombro y la nuca.

Habiendo intentado ponernos en la piel del vienés contemporáneo al pintor, quedémonos donde estamos. Muchos de los que vivimos hoy sentimos algo de pudor frente a algunos de sus desnudos y retratos. ¿Nos impacta la desnudez o más bien la fragilidad del alma descubierta por un gesto llevado al extremo? Schiele nos descubrió lo obsceno como camino al alma humana. La violencia sufrida por la figura la expone tanto por dentro como por fuera. El cuerpo, lejos de ser mera expresión o manifestación de lo psíquico, es lo psíquico.

Tanto cuando se ocupó de la naturaleza como cuando retrataba a otra persona, Schiele no trató de copiar del natural, sino de mostrar aquello que el objeto despertaba en él, al fin y al cabo, a sí mismo. Dejemos hablar al propio artista: “Primero pienso sobre los cuadros que quiero pintar; también hago bocetos, pero creo que copiar la naturaleza no tiene ningún sentido para mí, pues pinto mejor de memoria que frente a un paisaje. – Mayormente observo los movimientos físicos de las montañas, el agua, los árboles y las flores: a uno siempre le recuerdan a movimientos similares en el cuerpo humano, a sensaciones de alegría y tristeza en las plantas. Pintar tan sólo no me resulta suficiente: sé que los colores pueden reflejar cualidades – percibo un árbol tintado de otoño en verano con mis sentidos más profundos y mi corazón, y quiero pintar esa melancolía...”

No hay alma más allá de la pieza de carne o, en palabras de Nietzsche, “...- y muchas veces me he preguntado si la filosofía en términos generales no ha sido mera interpretación del cuerpo y un malentendido del cuerpo”. El filósofo alemán nunca dejó de esperar la llegada de un médico-filósofo - la añoró tanto que no pudo evitar anunciarla y la siguió tratando de avistar incluso en sus últimas recreaciones como filósofo-artista o transvalorador de valores -, ¿acaso no es Schiele un médico de este tipo?

Llama la atención el gran número de autorretratos del artista. En Egon Schiele. Eros and Passion, Albrecht Schröder compara al griego Narciso, enamorado de su propia belleza, con el vienés que se sirvió de la carne demacrada para conquistarse una y otra vez. Coincidimos con Massimo Cacciari en que tanto Freud como Lacan, así como Schröder (esto es nuestro), se quedaron con una visión muy reduccionista del mito griego. En ‘Narciso, o de la pintura’, Cacciari explica cómo el joven griego se vuelve hacia su reflejo para abolirlo en un intento de fundirse con eso que se le presenta como otro y se le escapa una y otra vez, su sombra. El filósofo italiano compara a Narciso con Dioniso. Mientras que el primero necesita reunir la multiplicidad, Dioniso se regocija en ella. A nosotros nos parece que Schiele es un narciso dionisíaco, que, consciente de la multiplicidad, no pretende otra cosa que reconocerse en ella: como prototipo del flâneur baudeleriano, elegía “morada en el número, en lo ondulante, en el movimiento, en lo fugitivo y en lo infinito. (...) Se le puede comparar con un espejo tan inmenso como esa multitud; con un caleidoscopio dotado de conciencia, que, en cada uno de sus movimientos, representa la vida múltiple y la gracia inestable de cada uno de todos los elementos de la vida. Es un yo insaciable del no-yo, que, a cada instante, lo refleja y lo expresa en imágenes más vivas que la vida misma, siempre inestable y fugitiva”.

El reflejo, prosigue Cacciari, es divino y fracaso mundano: lo primero, en tanto se es un reflejo de los dioses; lo segundo, en tanto no somos más que un sueño. Este conocimiento es ante todo trágico, pues “significa la muerte del que lo alcanza, puesto que sabe, entonces, que no es más que una imagen o un reflejo. Es lo que pierde sus obras (las de Orfeo) y las transforma en tantas sombras que no pueden ser producidas a la luz. Sin embargo, el fracaso inexorable de esas obras, de esa vida que no es más que un sueño constituye un sueño divino, o la existencia misma de Dioniso”. Las obras de Schiele, como las de Orfeo, no son más que un sueño; ahora bien, no pueden ser sueño divino, pues no hay nada más allá de la obra – nada fuera del lenguaje. Schiele y su trabajo son ensoñaciones de aquel vacío de los números imaginarios que tanto sufrimiento causara al estudiante Törless. La imagen engañosa de cada retrato ni siquiera es divina, sino fragmento de una multiplicidad dionisíaca sin Dioniso alguno. Schiele coloca el espejo delante de cada ente, recogiendo el fracaso de toda existencia - mera imagen de un vacío. El pintor es un narciso moderno que ya no busca ser uno con la idea, sino comprenderse como fragmento mortecino.

Schiele no se apartó de la muerte ni en su vida ni en su obra. Por un lado, además de sufrir la I Guerra Mundial, su padre, sus hermanos, su mujer y él mismo padecieron enfermedades fatales. Su diario nos permite observar la huella que la guerra dejara en él: “Vivimos en la época más violenta que el mundo haya jamás conocido. Nos hemos acostumbrado a toda privación. Cientos de miles de seres humanos perecen miserablemente. Todo el mundo debe sufrir su destino, vivir o morir. Nos hemos hecho duros y hemos perdido el miedo. Lo que existía antes de 1914 pertenecía a otro mundo”16. ¿Acaso no se oyen ecos krausianos?

Trató el tema de la muerte de forma explícita en muchas obras. El aspecto de alucinación de las muecas de sus figuras y la sensación fantasmagórica que producen sus cuerpos no menos espectrales subrayan la cercanía entre éstos y la muerte. En ‘Los que se ven a sí mismos II (la muerte y el hombre)’ (K P193) de 1911, la muerte arropa al auto-vidente, lo que nos lleva de nuevo a la cercanía entre sufrimiento (muerte) y verdad (desarrollo espiritual). Esto toca directamente a las posturas en torno a la muerte de Ludwig Wittgenstein y de Robert Musil: la muerte le llega a aquel que logra alcanzar aquello que queda más allá del lenguaje sin traspasar los límites de éste. Al tener un pie en la otra orilla, el artista es capaz de mostrar lo que está fuera del mundo sin cometer el error de intentar decir demasiado.

Sus figuras, espectadores de su propia caída, nos recuerdan el morir que supone toda experiencia estética. Cuando miramos una obra de arte, morimos, dejamos de ser nosotros – sujetos con deseos y sufrimientos -, como dijera Ortega en La deshumanización del arte, para ser contempladores. Pero la muerte del fenómeno estético es doble: lo otro frente a nosotros también está muerto. ¿Acaso no son sus paisajes constataciones visuales de su afirmación de que todo vive muerto? La vida misma es experiencia de muerte, por eso sus figuras más vivas, las que pueden trascender las fronteras de su propio cuerpo y verse, están muertas o cerca de la muerte, en sus proximidades.

Schiele no pudo evitar buscarse en el espejo de cada retrato, hallando sólo enfermedad y sufrimiento. ¿Acaso buscaba otra cosa? ¿Podríamos interpretar este juego de máscaras a la luz de la idea nietzscheana que establece que el hombre sólo encuentra lo que él mismo ha puesto allí donde busca? El hombre es producto de sus pecados y el artista, salvador, se ofrece a pagar por ellos como buen cristo torturado. Así es como nuestro médico se convirtió en sacerdote.

Paradójicamente, el que con tanta fuerza se enfrentase a la tradición, recurría a ella para representarse. Son muchas las obras de Schiele con trasfondo religioso. Su quehacer artístico partía de la identificación del artista con el profeta repudiado y maldito y no dejó de representarse en sus obras como tal. En ‘Los ermitaños’, obra para cuyos bocetos utilizó a Klimt y a sí mismo como modelos, entendió las dos figuras como “una nube de polvo, como la misma Tierra, intentando levantarse a sí misma y abandonada al colapso inevitable”. Mero puñado de tierra que había de seguir su destino, el artista estaba obligado a su deber, el arte, ya le deparase la perdición o a la muerte. Fueron muchas las ocasiones a lo largo de su corta vida en las que el joven pintor reflexionó acerca de la función del artista en la sociedad, así como sobre el sacrificio que conlleva su vida debido a la falta de apoyo social. Ofrecemos a continuación un fragmento de uno de sus poemas:

“Son elegidos,// los frutos de la Tierra madre// los más benévolos.// Conocen fácilmente la emoción y// hablan su propia lengua.// .....// Sin embargo, ¿qué es el genio?// Su lengua es la de los dioses// y viven aquí en el paraíso.// Todo es canto// y semejante a los dioses.// (...)// Jamás nada les parece insoportable.// Todo lo que dicen,// no necesitan crearlo,// Lo dicen,// tiene que ser así – porque son superdotados.// Son los reveladores”//. [...]

Carla Carmona Escalera

— Fedro, Revista de Estética y Teoría de las Artes



Egon Schiele Moi, éternel enfant



Dans sa postface, Nathalie Miolon rappelle qu’on doit à Arthur Roessler (un ami du peintre) d’avoir fait éditer ces poèmes, mais qu’il leur porta tout autant préjudice en les corrigeant abondamment, les modifiant en profondeur. Cette part méconnue de l’oeuvre d’Egon Schiele ne nous est donc parvenue sous sa forme originale et non tronquée qu’en 1977. Elle n’en est pourtant ni la part maudite, ni l’enfer : nettement moins dérangeante que ne le sont ses peintures et dessins, sa poésie n’est pas inintéressante, parce qu’elle confirme que Schiele est d’abord peintre et que lorsqu’il écrit, il ne cesse pas de l’être, trouvant même dans les ressources de la langue des moyens de créer des matières, des couleurs et des ombres, notamment dans ce plaisir qu’il trouve aux compositions lexicales : "troncs-pupilles", "étangs-miroirs", "arbres-régates", "les arbres-tempête" en sont quelques exemples. Poésie d’un peintre qui se dit "voyant" et appréhende donc le monde par la vue, qui trouve à y exercer frénétiquement sa pulsion scopique, que ce soit dans "les troncs-pupilles qui s’enchevêtrent", les yeux des oiseaux dans lesquels "(il) (s)e voyai(t) rose avec des yeux brillants" ou dans l’évocation du "long voyeur portant lunettes". On sait que le dessinateur autrichien se représentait souvent dans ses autoportraits marqué d’un fort strabisme, manière de répondre aux critiques de l’époque qui n’hésitaient pas à jouer du calembour auquel invitait son nom pour l’égratigner (le verbe schielen signifie loucher). Strabisme, pour exprimer peut-être aussi ce basculement d’un regard tourné vers l’extérieur à une vision intérieure qui, en pleine diffusion des théories freudiennes, scrute "la torture de la pensée", les "effrayantes douleurs au-dedans, dans l’âme", "l’éternel état de rêve" dont parle Schiele. Strabisme encore, pour marquer son anti-conformisme, sa divergence de vue avec la morale bourgeoise bien pensante de l’époque, et plus encore avec l’académisme : "et je ris / en peignant pour moi-même l’hiver blanc en été". Une poésie de la vision, étrangement saturée de couleurs et de lumières, comme dans les rêves ou les hallucinations, au point qu’elles s’y mélangent parfois exagérément, comme s’il s’agissait d’essais faits à même la palette : le "brun-vert-passé" ou "le pré vert-gris-orange", mieux encore : le "vert-jaune, vert-bleu, vert-rouge, vert-mauve, vert-soleil et vert-frisson" du parc. Ce sont parfois les contrastes qui l’emportent (rappelant les dessins au crayon) : ainsi de "la ville noire" sous "le ciel blanc". Parfois, à l’inverse, les sujets s’évanouissent dans le fond à la manière d’une estampe ou d’une aquarelle : "points jaunes sur fond jaune". Autre exemple : "Dehors, dans un champ-couleur / se sont fondues des silhouettes colorées, / les bruns paysans broussailleux au bord du chemin brun / et des jeunes filles jaunes dans le champ de muguets". Si Schiele est réputé pour ses représentations de la figure et du corps humains, beaucoup de poèmes ont une dimension plus bucolique. Ce sont les paysages de la campagne qu’il rejoint après avoir quitté Vienne en 1911 qui sont évoqués au fil des textes. Encore que certains de ces tableaux acquièrent une dimension charnelle et érotique : "Les arbres-colonnes traçaient justement des lignes vers le lointain, / en s’affaissant / sensuellement dans leur rondeur-longueur ; je pensai à mes visions-portraits colorées. " Champs ventés, "routes mouillées" ou plaines pluvieuses d’où se détachent des figures d’humbles paysans laborieux, un joueur aveugle d’orgue de barbarie ou des "oiseaux grelottants". Manière là encore de se positionner, à rebours de la bourgeoisie et de l’aristocratie urbaine : "j’ai maudit aussitôt l’argent (...) ce vénal, l’argent-profit". La ville n’est pas absente mais souvent associée à la figure paternelle, symbolisant à elle seule la chute et la mort : "Commencèrent les temps morts et les écoles sans vie. / J’arrivai dans des villes mortes, sans fin, et je portai mon deuil. / À cette époque, je vécus l’agonie de mon père". Le père frappé par la syphilis va profondément marquer l’imaginaire du peintre, au point de nouer dans son esprit, et d’une manière indélébile, la sexualité à la mort. De même que les chairs féminines aux silhouettes cachectiques ont des reflets verdâtres de viande putréfiée dans les peintures, les figures féminines évoquées dans les poèmes ont la "pâleur morte" des fantômes. Je pense à cette "dame bleue dans la verdure" ou à ces "jeunes filles blafardes et blanches (qui lui) montraient / leurs jambes noires et leurs jarretelles rouges et parlaient avec des doigts noirs". La poésie de Schiele dit explicitement cette aspiration contradictoire aux pulsions de vie et de mort ("comme c’est bon ! – Tout est mort vivant"), exacerbée chez lui, mais dont il n’hésite pas à faire une qualité essentielle de la condition humaine : "Je suis Homme, j’aime la mort et j’aime la vie".

Romain Verger

— Le site de Romain Verger



The Poetry of Egon Schiele



At Sotheby’s in 1987 a number of poems by the renowned Austrian painter, Egon Schiele (1890-1918), went under the hammer. Of course these barely known verses could not hope to approach the ever more fantastic prices which the painter’s canvases now regularly fetch. Nonetheless, they remain of intrinsic value as a fascinating element of his legacy and perhaps contribute to a better understanding of his almost pathologically expressive visionary artworks.

The poems, around twenty in number, were written in 1909/10 and in 1915. The small body of work cannot be said to measure up to the stature of Schiele’s contemporaries, such as Georg Heym, Gottfried Benn or Jacob Von Hoddis – German-language poets of the so-called Expressionist generation. Yet the poems are striking examples of a painter’s earnest attempt to versify his painterly eye as well as to impart something of his unconventional biography and passionate views on the sacred mission of the artist.

Some of the poems were first published in various editions of the pacifist pamphlet, Die Aktion, produced in Berlin during the First World War. A sizeable selection of the poems, some with curious emendations by the editor, were published by Schiele’s friend and promoter, Arthur Roessler, as Egon Schiele: Prosa und Gedichte in Vienna in 1921. In April 1979 most of the poems appeared as a collection edited by Christian M. Nebehay: Egon Schiele 1890-1918: Leben, Briefe, Gedichte (Life, Letters, Poems) published by Residenz Verlag, Salzburg. Finally, in 1989, a smaller selection of poems were printed in Chapter 10: ‘Egon Schiele als Dichter’ (‘Egon Schiele as a Poet’) of the book: Egon Schiele Von der Skizze zum Bild, Die Skizzenbücher (Egon Schiele From Sketch to Picture, The Sketchbooks), also edited by Christian M. Nebehay and published by the Verlag Christian Brandstätter, Vienna. It was this text that was used for the present translations into English.

It is immediately self-evident that Schiele’s poems were written by a painter, not only in titles such as ‘sketch for a self portrait’ or ‘self portrait’, but also, perhaps inevitably, in the highly expressive use of colours throughout the poems. These appear to be employed both realistically and suggestively, almost as if the embryonic line were the sleeping canvas waiting for the application of a particular colour to bring it to life. Thus in the poem ‘Visions’, we have ‘The white pallid girls showed me their black legs and red garters and spoke with black fingers …’ Straight away one is aware this is a Schiele painting. Even had we not known the author of this poem, it would conjure up the now almost iconic image of pale, skinny, street-girl models lounging about his studio with their angular, bruised limbs and blood-red lips. The ‘black’ mentioned twice here could, in the first instance, be interpreted as a simple description of the stockings themselves, with the garters blazing against them. Yet, ‘black fingers’ suggests something more poetically authentic and unsettlingly morbid. It brings to mind the greenish-grey shade of putrefaction Schiele customarily imparts into the flesh of his subjects.

Colour also luxuriously embroiders the lines of ‘Anarchist Sun’, with the delirious opener: ‘Taste, red one! Smell swaying white winds’. In the evocatively entitled ‘Music while Drowning’ a suitable mortuary-black predominates. One cannot help but think of the grim death of the poet Georg Heym in 1912. A man with a pathological fear of drowning, he fell through the ice whilst skating on the Havel near Berlin. ‘Twisting I fought/and heard the waters within me,/the fine, beautiful black waters…’ Or even the suicide of the poet Paul Celan, who symbolically dropped off the Pont Mirabeau into the Seine some sixty years later. Yet, for all the wrestling with death, the breathing of ‘golden strength’ seems to suggest the achievement of art secured for eternity in spite of such a wretched exit. As has been laboriously attested elsewhere, for Schiele, eros and thanatos pervade everything. His sensory organs are taut and primed for such interpretations; but beyond this corporeal laboratory of the real filtered through the subjective expressive gauze, lies the higher spiritual path he feels has been assigned to him. This self-belief is encapsulated in the extraordinary long poem, ‘Fir Forest’, which reads like a Nietzschean clarion call for that ubiquitous higher race of artist-men to reject the intricate deceptions of the State and uncompromisingly fulfil their calling. The ‘nimble apes’ Nietzsche wilfully harangues in Thus Spake Zarathustra and elsewhere are likewise fervently lambasted by Schiele in his ‘Fir Forest’. The prosaic man is all too recognisable a century later:

‘Anger, greed and ambition to be wealthy are most often expressed in dulling gestures all their lives they wallow in the state and never try to fathom nature, but whistle easily understood operettas and read novels for pleasure …’

In one of his untitled poems Schiele talks of a bird where ‘a thousand greens are reflected in its eyes’. That this was written by an artist of Schiele’s calibre infuses the image with added significance. Who but he could know the shade created by a thousand greens and hold it long enough to record? What matters is not literally that a thousand greens reflect in the bird’s eye, but the possibility that they could. The green of the eye is so overwhelming that in his determination to see truth above all else the precocious poet-artist has glutted himself with a thousand variations within a single colour. While admitting the impossibility of capturing the reality of nature – like a translator faced with a text which appears to defy intra-linguistic interpretation – Schiele takes up the challenge nevertheless. It is a microcosm of the artistic calling: proceeding with creation and conceding defeat at the same moment. The sense of precariousness, the constant wavering of the boundary between lucidity and excruciation, is perhaps why Schiele’s paintings score so deeply into us today and why his poems so naturally shadow them, keeping just enough distance to be works of art in their own right.

Anthony Vivis
Will Stone

— The London Magazine



Schiele, le peintre de la chair



Esquisse pour un autoportrait

Dans mes veines coule un vieux sang allemand, et souvent je sens revivre en moi l'esprit de mes ancêtres. Arrière-petit-fils du conseiller aulique de justice Friedrich Karl Schiele, premier bourgmestre de Bernburg dans le duché d'Anhalt, je suis né le 12 juin 1890 à Tulln sur le Danube d'un père viennois et d'une mère originaire de Krumau.

Ces premières impressions de l'enfance qui laissent une empreinte si durable dans notre imagination, je les ai reçues de pays de plaine aux allées printanières, et aux furieuses te mpêtes. Il me semblait, en ces premiers jours, entendre et sentir déjà les fleurs prodigieuses des jardins silencieux, et les oiseaux, dans les yeux luisants desquels je voyais mon reflet teint en rose. Souvent mes yeux s'embuaient de larmes lorsque c'était l'automne. Au printemps, je rêvais de la musique universelle de la vie, puis me réjouissais de la magnificence de l'été et riais, lorsque au sein même de sa splendeur, je me représentais la blancheur neigeuse de l'hiver.

J'ai vécu dans la joie, jusqu'alors, dans une alternance joyeuse de sérénité et de mélancolie. Puis vint le temps de la contrainte et les écoles sans vie, école élémentaire de Tulln, lycée à Klosterneuburg. Je vins dans des villes qui paraissaient presque immenses et mortes, et mon coeur fut en deuil. A cette époque, j'ai vu mourir mon père.

Mes grossiers maîtres ont toujours été pour moi des ennemis. Comme d'autres ils ne m'ont pas compris. La religion et l'art sont sources des sentiments les plus élevés. La nature est le but, mais on y trouve Dieu, et je sens profondément sa présence, très fortement et plus encore. Je crois qu'il n'existe pas d'art moderne ; il n'y a qu'un art unique, il est éternel.


Autoportrait

J'existe pour moi, et pour ceux auxquels ma soif inextinguible de liberté donne tout, mais aussi pour tous, car dans la mesure où je vais aimer - j'aime tout le monde. Parmi les coeurs nobles , je suis le plus noble - et le plus généreux à payer de retour. - Je suis un être humain, j'aime la mort et j'aime la vie.

in Tout l'oeuvre peint de Schiele, traduction de Gaston Duchet-Suchaux (éd. Flammarion, Les classiques de l'art)


«Connaître la chair plutôt que la polir, l’effacer dans l’ornement, ou la tuer dans l’ascèse, voilà ce que, vers 1908, est la radicalité non encore nommée qui s’appellera «expressionnisme». Ce désir de connaissance sensible légitime le désir de l’artiste de blesser, démasquer, violer et détruire (…) Jusqu’où le corps dans sa matérialité peut-il érotiquement irradier ? C’est ce que montre l’œuvre de Schiele qui, comme aucun autre, mêle la chair, la peau, les os, muscles, tendons en un symbole unique de désir et d’abandon physique.»
«Den Fleich erkennen», in Ornament und Askese, Werner Hoffmann, traduit par Jean-Louis Gaillemin.

Vienne, au tournant du XXe siècle, cité des rêves, selon les mots de l'écrivain Robert Musil, et des grands paradoxes, dont la surface aux lumineuses et séduisantes facettes promet mille divertissements enchanteurs dignes de toute métropole moderne. Mais sous ces airs de belle hédoniste, la capitale de l’empire austro-hongrois, gangrenée par la corruption, agonise dans un marasme socio-économique épouvantable.

Dans un tel bouillon caractérisé par un profond désarroi et une absolue frénésie créative, que Hermann Broch qualifiera d’Apocalypse joyeuse, s’alimentent des courants aux tendances sociales et intellectuelles contradictoires. La bourgeoisie, fidèle en apparence au vieil empereur François-Joseph, prône des valeurs traditionnelles et conservatrices tout en se vautrant dans une opulence décadente et obscène dont la permissivité favorise alors un épanouissement exceptionnel des arts, de l’architecture, la littérature, la philosophie, des sciences et des techniques.

D’extraordinaires personnalités convergent pour émerger au même moment de ce bassin en une effervescence que désignera bientôt l'expression Modernité viennoise. Sigmund Freud développe ses théories de psychanalyse ; les compositeurs Arnold Schoenberg, Anton Von Webern, et Alban Berg innovent en musique, les œuvres de Gustav Mahler puisent à ce renouveau, les littérateurs d’avant-garde Arthur Schnitzler, Hugo Von Hofmannsthal se distinguent malgré les flèches que leur décochent le redoutable polémiste et écrivain Karl Kraus ; Otto Wagner, Adolf Loos et Josef Hoffmann œuvrent à de nouveaux concepts architecturaux ; le style décoratif viennois Art nouveau et sécessionniste s’impose, emmené par Gustav Klimt, réaction contre le règne de la tradition et de l’académisme artistiques.

De cette capitale bouillonnante, de cet environnement riche d’intellectuels, foisonnant d’artistes, de sa relation privilégiée avec Klimt, s’est nourri l’art extraordinaire, ardent du jeune peintre Egon Schiele, pour parvenir à une œuvre de virtuose électrisée, à la tension exacerbée, intime, émotionnelle, charnelle, d'une puissance expressionniste incomparable, à la témérité résolue, radicalement frondeuse jusqu’au délire obsessionnel.

Au cours de sa carrière fulgurante – brutalement interrompue par son décès fin octobre 1918, quand il est victime de la grippe espagnole qui essaime alors en Europe et emportera quelques jours plus tard à Paris le poète Guillaume Apollinaire – Schiele, 28 ans, a livré au monde plus de trois milles œuvres sur papier et environ trois cents toiles.

Telle une comète sidérante, Schiele a traversé le ciel de l’Art, à ses yeux «unique… éternel», pour le marquer à tout jamais de sa vision singulière et torturée du corps et de la chair, à la fois matière et lieu - où l’essentiel, la création, se joue, de la naissance à la mort, en passant par l’amour et toutes les formes de composition et décomposition -, mais aussi douloureuse langue symbolique qui témoigne de son immense blessure.

«Tôt ou tard, il émergera une foi en mes tableaux, mes écrits, mes mots qui sont rares mais que j’espère solides. Mes actuels tableaux ne sont sans doute que des avant-propos, je ne sais pas, de l’un à l’autre je suis si insatisfait (…) je suis devenu initié, je fais vite le compte, j’ai observé chaque énigme et tenté de l’appréhender», écrit-il en 1910 au docteur Oskar Reichel un de ses principaux collectionneurs. Il est alors âgé de vingt ans.

A partir de cette date, l’autoportrait nu était devenu un de ses axes de travail récurrents, assumant le double rôle de peintre et de modèle, à la fois narcissique et conjuratoire, pour se livrer à la pantomime de sa propre chair pathétique, celle d’un écorché vif, qui se dédouble encore, parfois dans des postures inertes, aux masques cadavériques, cerné d’une aura blanche messianique.

Déchiré par l’angoisse et la fragilité de l’existence, filtrent dans les écrits, lettres, petits poèmes et textes en prose de Schiele, deux profondes préoccupations que sont d’une part le culte de la nature et de la vie ; de l’autre, une peur insondable de ses désirs sensuels. Le peintre oscille entre la jouissance dionysiaque d’une immersion absolue, à corps perdu au cœur de l’existence et la terreur induite par l’acceptation de ses pulsions.

«Lorsque Egon Schiele cerne d’un rouge vif l’aréole d’un sein ou les lèvres d’un sexe, et lorsqu’il peint un visage en juxtaposant des touches de carmin, de vert et de bleu, il tient un propos autre qu’illustratif. Il renoue avec un habitus très ancien qui usait d’une cosmétique pour relever la qualité érectile de certains points du corps et pour sacraliser la sexualité», note Jean Clair dans Autoportrait au visage absent. Schiele, dit-il, peint le visage «comme une chair tuméfiée, faite de souplesse et de mort légère, d’attrait et de vulnérabilité, de désir et de peur

En pathétique Eros, aux tons grisâtre et vert de cendres, Schiele s’adonne dans cet autoportrait à une misérable masturbation - en dépit d’un phallus à la turgescence de Priape, d'une couleur rouge orangé, à l'incandescence volcanique, - et stigmatisée par une attitude simiesque, douloureusement loin, très loin du moindre espoir de jouissance.

«Schiele est un être à part. Ses peintures traduisent à la perfection des sensations nerveuses orientées vers la sensualité, des impressions pleines de sensibilité. Elles sont issues, et continuent toujours de procéder d’une impulsion et d’une exigence internes, elles sont pures de toute pose, de toute grandiloquence ; totalement dépourvues d’espérance, elles plaisent à ceux-là seulement qui savent encore voir des valeurs authentiques et irremplaçables dans l’expérience sensuelle d’instants secrets de notre vie, dans leur simplicité, et dans leur transposition sur la toile (…) Quant à ceux qui ne savent voir que le nu, et le nu obscène, dans les œuvres de Schiele, et rien d’autre, tant pis pour eux, car la sensibilité de chaque être humain est une composante intrinsèque de sa nature», assène dans un article de mars 1911 Arthur Roessler, devenu son mécène- collectionneur après l'avoir révélé la même année.

De cette lutte intérieure témoigne aussi l'émouvante petite pièce écrite en prose par Schiele, en guise d' «Autoportrait : rêver éternellement, gonflé d’une surabondance de vie – sans cesse – avec d’horribles douleurs au-dedans de l’âme – flamboie, brûle, aspire au combat, - spasme – soupeser – et follement animé d’un désir fou – penser est une torture impuissante, il est vain d’essayer de forger des pensées. - Parle le langage du créateur et donne. – Démons ! Rompez la violence – votre langage, - votre signe, - votre force.» «[La] dimension religieuse atteinte par cette reconnaissance de la chair provient du catholicisme autrichien qui a pris à la lettre l’Evangile selon Saint-Jean. Le Logos dans cette culture (aspect qui en se retrouve ailleurs qu’en Espagne) est devenu chair et a résisté à l’ascèse de l’abstraction (…) Ici l’acte de création artistique est porteur d’espérances de salut», estimera le critique Werner Hofmann.

Schiele avait été profondément marqué, tout jeune, par la mort de ses frères et sœurs, et surtout à l’adolescence par le décès, sous ses yeux, de son père atteint de syphilis, et qui avait auparavant perdu la raison. Une disparition qu’il ne peut accepter, quand sa présence le hante, quand il continue de dialoguer avec ce père qui, la nuit, le visite.

«Regarde moi, Père, moi, toi qui es pourtant là, embrasse-moi, donne-moi le proche et le lointain, monte et descend sans cesse, Monde. Etends maintenant tes nobles os, prête-moi une oreille tendre, tes beaux yeux bleu pâle. C’était bien, comme ça père, devant toi, je suis.»

Il confie aussi dans une lettre à son ami, le peintre Anton Peschka, que sa sœur favorite «Gerti elle-même ne sait pas les souffrances psychologiques» qu’il doit endurer. «Je ne sais pas s’il y a quelqu’un au monde qui se souvienne avec cette mélancolie de mon noble père ; je ne sais pas si quelqu’un comprend pourquoi je cherche justement ces endroits où fut mon père, où je puis éprouver cette douleur volontairement pendant des heures entières. Je crois à l’immortalité de tous les êtres, je crois qu’un corps n’est qu’une parure, le souvenir, plus ou moins emmêlé, je le porte en moi – Pourquoi je peins des tombes et beaucoup de choses semblables ? – parce que tout ça continue à vivre au plus profond de moi-même.»

Conjuration de la mort par allégories, dans ses toiles Schiele se met en scène au cœur d’un vide pathologique et froid, s’enveloppe des couleurs verdâtres des putréfactions de la chair, se pare d’infâmes moignons, s’inflige les plus abjectes amputations et scarifications qui exhalent les tombeaux.

La chair est dépouillée, mise à nue dans toute sa complexité et sa fragilité, évoquées par de douloureuses contorsions du corps dont la transparence de la peau est révélée par de mornes teintes bleutées, brunes, vertes et rouges, qui traduisent à la fois sa force vitale, muscles et veines irrigués, et sa fin tragique alors qu’il semble déjà disséqué par le scalpel d’un médecin légiste.

Les yeux clos, de celle qui semble dormir paisiblement, l’esprit déjà ailleurs, le corps dénudé, squelettique, dont les seins encore lourds et pleins témoignent d’une sensualité passée, les mains aux doigts effilés, phalanges décharnées et sanglantes, jointes en une prière, la Jeune femme morte, bouleverse par la charge d’érotisme macabre que le peintre transmet non sans laisser poindre quelque jeu pervers et récurrent, tantôt exhibitionniste, tantôt voyeur.

«Son art (…) ignore le sourire ; il nous aborde avec un ignoble rictus, qui fait froid dans le dos. En un certain sens, cet Egon Schiele est un moraliste à la peinture lourde de menaces. La vision qu’il nous donne du vice dans ses œuvres n’a rien d‘attirant ni certes de séduisant. Il se délecte dans une orgie de couleurs – les couleurs de la putréfaction», jugea en mars 1918 un critique autrichien.

Jamais épanouie, innocente, fraîche ou joyeuse, rarement comblée d’extase ou de tendresse, semble affirmer Schiele, la chair est triste, elle meurt.

Zoé Balthus

Egon Schiele Narcisse Ecorché, Jean-Louis Gaillemin (éd. Gallimard, Arts)
Egon Schiele, Erwin Mitsch (éd. Phaidon)

— Zoé Balthus





Egon Schiele en prisión Schiele Yo eterno niño